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Un conte d'Epiphanie inédit écrit pour vous :
Les Rois Mages dans la barranca

La cité de Cuernavaca, capitale de l'état de Morelos, présente une topographie particulière ; cette vaste agglomération, toute en pente, est parcourue du nord au sud par de nombreuses barrancas, ravins profonds, aux parois plus ou moins verticales constituant le lit de torrents descendant directement des montagnes volcaniques dépassant les trois mille mètres d'altitude. L'encaissement de certaines barrancas, leurs flancs abrupts, les rendent inhospitalières mais elles représentent des milieux naturels sauvages uniques en leur genre.

D'autres ravins, plus évasés, ont été colonisés, parfois de manière modeste et ce sont donc des dizaines de milliers d'habitants qui vivent dans les diverses barrancas, certains logements étant difficiles d'accès.

On imagine bien que dans le fond de ces barrancas escarpées tout le monde n'est pas riche comme Crésus... ou Carlos Slim, le milliardaire du pays. Ce serait plutôt le contraire, mais solidarité et bonne humeur mexicaines aidant, les rires et les chansons accompagnent les pétards, si prisés ici, les jours de fête. Sans oublier les guirlandes à la chapelle de la vierge renouvelées pour le 12 décembre, jour de commémoration des apparitions cinq fois centenaires près de Mexico...

Dès qu'on gagne la partie supérieure des barrancas, où passe une rue plus carrossable ouverte notamment aux autobus, le commerce est très actif et une foule de petits métiers survivent autour du mercado municipal. Tôt le matin, les enfants, en uniforme pimpant, quel que soit l'endroit où ils demeurent, prennent le chemin de l'école dont les cours sont toujours dotées d'un préau pour protéger leurs jeux de l'ardeur du soleil, impitoyable ici.

C'est ce que faisait chaque matin le petit Carlos, huit ans, qui se rendait avec sa petite soeur à l'école proche, donnant parfois un coup de pied dans une boîte de conserve ou une bouteille de Coca, coup de pied donné avec des chaussures prêtes à rendre l'âme, devenues trop petites, et dont les semelles avaient tendance à se décoller. Le cordonnier du quartier les avait bien rafistolées, mais…

Aussi ces vieilles godasses étaient-elles la hantise de Carlos espérant bien se faire offrir des baskets neuves le jour des Rois Mages qui pour les enfants mexicains est comme un second Noël. Hélas, Elvia sa maman lui avait fait comprendre qu'il ne fallait pas trop y croire. Depuis que son mari Emilio était parti travailler clandestinement aux États-Unis et ne donnait plus de nouvelles, ses minces revenus obtenus par son petit commerce de bonbons et biscuits, établi  sur le trottoir, ne suffisait pas à acheter les aliments les plus simples ; alors que le prix des tortillas avait encore augmenté, le manque d'argent était devenu un problème récurrent, et le porte-monnaie se trouvait encore plus vide que le buffet de la cuisine.

De tous ces soucis, Carlos avait l'habitude et ne se plaignait pas. Il comprenait... Il avait quand même demandé à sa maman de ne pas oublier d'acheter la fameuse rosca de reyes, la célèbre  galette des rois mexicaine, à partager avec la petite frangine Guadalupe.

Elvia avait promis, mais plus tard elle s'était rendu compte que les magnifiques couronnes garnies de fruits confits, exposées dans les boutiques, n'étaient vraiment pas à la portée de sa maigre bourse. Décidément, tout augmentait...

Alors avec un peu de farine, deux œufs économisés, du sucre et un filet d'huile, elle avait cuisiné une brioche qui devrait être succulente, surtout décorée avec des petites pépites de chocolat.

Toute rosca de reyes, même simple, devant contenir une fève, mais ne disposant pas du petit Jésus traditionnel en céramique, elle avait choisi de faire plaisir à ses deux niños en glissant, dans le gâteau, deux modestes pièces de 5 pesos, mises de côté spécialement, après les avoir bien fait briller. (Car au Mexique, avec l'équivalent de 25 centimes d'euro, on peut acheter une belle poignée de bonbons, ce qui n'est pas le cas dans l'Hexagone).

La pâte était bien montée, la brioche ronde dorée à souhait et Elvia était toute heureuse de l'offrir à ses enfants pour le goûter . Carlos avait gardé espoir jusqu'au bout, mais les fameuses chaussures neuves restaient désespérément absentes.

C'est quand même dans la bonne humeur que la petite famille se mit à table pour partager la rosca de reyes. Trichant un peu, la maman s'était arrangée pour que chaque pièce de monnaie échoie à un enfant.

Tour à tour, dévorant leur part de brioche, Carlos et Guadalupe faillirent se casser les dents et quand ils crachèrent dans leur paume la piécette, Elvia eut la surprise d'y voir que les pièces de 5 pesos étaient méconnaissables : elles avaient été, soudain, remplacées par de grandes pièces de 50 pesos en or massif.

Leur étonnement et leur joie furent tels qu'ils virent pas filer derrière la fenêtre les silhouettes de Balthazar, Gaspard et Melchior tout joyeux d'avoir fait une bonne blague !

On peut dire que les rois mages, passant par le fond de leur barranca, leur avait joué un sacré tour !

Dominique


 

P.S. : Soyons prosaïques un instant, la pièce de 50 pesos en or vaut actuellement plus de 1300 euros soit plus de 27 000 pesos! Quand on est roi mage, on a un standing à tenir !

Tag(s) : #CONTE, #FICTION, #Mexique
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