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Un conte d'inspiration mexicaine

Dans son jardin ensoleillé des oeillets d'Inde que les Mexicains disposent à foison en prévision du Jour des Morts, Maria la Catrina attendait quelques amies en se vernissant les ongles de vermillon.

Qu'elle était jolie sous son immense chapeau fleuri et emplumé. Jolie mais d'une minceur extrême car, comme vous ne le savez peut-être pas, les catrinas n'ont même pas la peau sur les os. Purs squelettes, ces dames du folklore latino-américain arborent de superbes robes longues, hautes en couleurs, dont les volants traînent sur le sol jonché de pétales. La tenue de Maria se distinguait du commun des... immortels par une torsade élégante, soulignant sa taille de guêpe, qui lui conférait l'illusion d'un tourbillon permanent. Elle tenait nonchalamment un long fume-cigarette qu'elle faisait semblant de porter à la bouche mais dont ses poumons absents ne pouvaient inhaler nulle vapeur. Jetant un coup... d'orbite à la montre ornant son radius et son cubitus, également chargés de bracelets, Maria commençait à s'impatienter quand survint, à la place de Laura et d'Andrea, son tendre ami Diego qu'elle n'avait pas vu depuis des lustres.

Malgré son âge, il arborait forcément une silhouette d'une extrême finesse, recouverte d'un habit de jais. Après avoir ôté son chapeau haut-de-forme, il se pencha vers la belle pour un baise-main qui trop appuyé provoqua un entrechoquement sonore entre sa mandibule et le métacarpe de son ancienne dulcinée.

Il y avait là, parmi les corolles, des chaises de ferronnerie peintes en blanc sur lesquelles Maria et Diego se posèrent pour entreprendre une conversation galante empreinte de nostalgie.

Diego se souvenait bien des adorables rondeurs se passant de tout soutien artificiel d'une Maria n'ayant pas oublié les épaules solides, les fesses dures et la virilité sans défaillances de son amant auquel elle demanda, en ce jour de réapparition des morts parmi les vivants, en ce dia de los muertos où les générations se mélangent autour des tombes, auquel elle demanda, tout simplement, ce qu'il devenait.

Mais que peut-t-on devenir d'autre, quand la grande faucheuse a accompli, une bonne fois pour toutes, sa sinistre moisson ?

Diégo, du revers de ses osseuses phalanges, épousseta le col de soie luisante de sa veste d'apparat, et il répondit avec quelque affectation : Magicien !

Magicien ! Répéta la belle catrina et que fais-tu de tes dons, en ces tristes temps qui nous confinent sous les dalles et les chapelles des cimetières ?

Eh bien ! Répondit Diego, j'oeuvre avec ma baguette magique.

La coquine ne savait pas exactement à quelle baguette merveilleuse le sémillant squelette faisait allusion, aussi lui demanda-t-elle le privilège d'une démonstration.

Diégo sortit alors de sa botte de fine peau un stylet d'or massif, orné de rubis, couleur de l'amour, avec lequel il écrivit quelques mots mystérieux dans l'espace qui soudain fut constellé d'étoiles virtuelles.

Regarde, Maria, regarde de tous tes yeux, regarde.

Et posant l'extrémité du stylet au fond des orbites de la catrina, il y fit apparaître deux yeux de biche à l'adorable marron clair.

Regarde, Maria, regarde de tous tes yeux, regarde, et Diego, frappant les côtes de l'impalpable poitrine, y fit naître deux plantureux seins en poire, de part et d'autre d'un sternum soudain habillé d'une carnation délicate.

Regarde, Maria, regarde de tous tes yeux, regarde*. Et Diego, de son stylet, insista sur l'os iliaque, sur sa zone pubienne, sur le sacrum et le coccyx, pour y faire apparaître une paire de fesses joufflues, un petit ventre à peine bombé et enfin un abricot délicat à la tendre chair à peine duveteuse.

Radieuse et éberluée, Maria, de ses yeux tout neufs, regarda alors, avec intensité, la partie du squelette de son ami où les fémurs se rejoignent, mais le visage osseux de Diego lui répondit par un rictus dépité, lui faisant comprendre que le pouvoir magique de la baguette était sans effet sur lui-même et qu'il ne disposerait donc jamais de l'outil indispensable... qui lui aurait permis de profiter de son chef-d'œuvre de reconstruction.

Le dia de las muertos s'achevait dans un songe et la vie s'éloignait à nouveau du champ de fleurs dorées mais désormais fanées.

*Hommage à Jules Verne, Michel Strofgoff
Dia de los muertos : La catrina et le magicien
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Tag(s) : #Conte, #Traditions, #folklore
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