J'ai conservé de très bons souvenirs, après ma carrière journalistique à Boulogne-sur-Mer, des nombreux reportages, dans les expositions et galeries, qui me permettaient de découvrir, de comprendre, de faire connaître voire d'expliciter les œuvres d'artistes aux talents les plus divers et aux styles les plus variés.
Que de richesses picturales et plastiques dans ce grand port de la côte d'Opale où je fis bien des rencontres passionnantes et amicales. Parmi elles celle de Franck Longelin, à distinguer, fut particulièrement captivante car ce peintre, que je connus jeune, qui a mûri, est toujours riche d'originalité, de créativité, et surtout d'une pensée, pensée inspirée.
Nous ne nous sommes pas oubliés et c'est donc avec plaisir que j'ai reçu de lui une invitation à un vernissage prometteur qui méritera sans nul doute le déplacement.
Voici donc le communiqué de presse que m'a adressé Franck Longelin ainsi que la présentation qu'il a rédigée de l'oeuvre de Thierry Diers, présentation intéressante dont je respecterai la liberté d'expression...
/image%2F0814297%2F20230205%2Fob_8bf783_expo-longelin.jpg)
Une figure du Vide - "Les hommes creux" de Thierry Diers (par Franck Longelin)
"Si le néant est la page blanche du philosophe, le vide, plus encore que sa toile immaculée,
est celle du peintre.
Figurative ? Abstraite ? D'hier ? D'aujourd'hui ?... Il n'y a de bonne peinture que celle qui
pense le vide, s'en arrache pour mieux le montrer. Le vide est la question majeure du peintre,
sa cause, son sujet même. Ce puits sans fond : sa nécessité, son risque...
Il n'y a aucune contradiction entre un Caravage et un Soulages, une "Joconde" et un "Carré
noir sur fond blanc", juste des façons particulières à chaque époque de penser le vide, de le
désigner, de le figurer. Car Vide n'est pas Rien.
Voilà le lien. Le fil d'Ariane de l'Art. Sa spiritualité.
Ainsi, la série figurative de toiles et dessins "Les hommes creux" de Thierry Diers, peintre
abstrait, n'est nullement un écart de son oeuvre, mais sa poursuite cohérente à travers une
expérience professionnelle nouvelle que l'artiste saisira comme une opportunité pour
montrer autrement la cause immuable de son art.
Expressionniste abstrait, Thierry Diers développe depuis des années un vocabulaire riche en
inventions formelles, créant un ensemble de hiéroglyphes personnels en écho au réel.
Or en 2003, sa peinture, forte de ses découvertes abstraites se fait plus distinctement
figurative pour montrer la souffrance au travail, figurer l'inhumanité des rapports humains
au coeur des grandes entreprises, exprimer le climat délétère qui peut y régner notamment
lors de rencontres en leurs sièges, de cadres, hauts responsables et patrons.
Plus haut perché encore, à distance - privilège de l'artiste - Thierry Diers a pu lui-même
observer la tragique farce. Lors de ses propres prestations dans l'une de ces entreprises
comme décorateur et architecte à l'occasion de salons commerciaux, il a vu la figure glacée
de ce tableau où l'humain angoissé, frustré, courtise, s'humilie, s'aplatit, s'anéantit... Cette
chute de l'être...
Oui le vide a aussi ce visage, et Thierry Diers l'a peint !
"DRH", "Attente polie", " Le conseiller", "Figé", "Angoisse", "Monsieur bonjour",
"Dialogue de sourds", "Attention", "Je vous l'ai déjà dit", "On compte sur toi", "Seul à
l'arbre", "Fin de mission"...
Ces titres acides de la série "Les hommes creux" expriment à eux seuls cette violence en
creux caractéristique des rapports de pouvoir au sein des grandes entreprises.
Il faut entendre et voir avec quelle jubilation Thierry parle de ses "Hommes creux", l'éclat
vif de son regard bleu, le ton malicieux de celui qui a réussi un bon coup - de pinceau !
" Regarde ! " me dit-il :
"Il faut décider", tu vois ici en arrière-plan, celui dont on va décider du sort, tortille
nerveusement sa cigarette dans l'attente et l'angoisse...
"On compte sur toi" et voilà l'autre pris au piège d'une mission que l'on devine impossible,
sa carrière est en jeu - il est fini !
"Monsieur bonjour !" et tous ceux-là rassemblés, costumes uniformément sombres espèrent
une poignée de main, ou ne serait-ce qu'un regard du grand patron au centre, veste rose,
pantalon gris clair nonchalamment penché, saluant mollement sans le regarder l'un de ces
pauvres bougres...
Thierry Diers excelle dans la mise en scène de ces petits conciliabules, petits apartés où les
destins se jouent. Il recrée subtilement les postures typiques de ces protagonistes : bras ou
mains croisés comme pour se protéger de l'autre, le tenir à distance... Il montre avec justesse
leur contenance, le rien laisser paraître de rigueur pour cacher souffrances et petits
meurtres...
Dans un silence presque religieux leurs visages ne sont pas graves, ils sont insipides, d'une
béance insondable. Ils se noient dans l'espace environnant ou parfois se tachent d'un eczéma
pictural qui révèle leur incapacité à être...
Ces figures, on pourrait presque les identifier, les reconnaître tant la cupidité et l'arrivisme
standardisent ces personnes sans humanité.
Alors, les reconnaissez-vous ?...
par Franck Longelin - janvier 2023