
"La France est un pays dans lequel il y a une haine montante du journalisme" : j'ai trouvé très triste de lire ce titre sur le site d'Europe 1, non que j'en critique ce grand média, mais parce que dans la bouche de Christophe Deloire, de Reporters sans frontières, RSF, elle prend la signification d'un grave avertissement : il n'y a pas que la haine du journalisme, sévit aussi celle du journaliste, et si d'aucuns ont peut-être à se remettre en question, je pense que nos concitoyens mettant en cause la liberté d'expression commettent une grave faute et scient l'une des branches sur lesquelles repose la démocratie.
Il me paraît bien dangereux de remplacer la démocratie représentative par la démocratie directe, comme de substituer, aux journaux et médias élaborés par des professionnels, les réseaux sociaux et sites internet douteux et peu soucieux de la déontologie, les faiseurs de fake news et de buzz.
Car il faut bien vous dire, chers lecteurs, que la presse, malgré par ses imperfections que je ne nie pas, est quand même conduite par des gens formés, et par une déontologie, et par une éthique, et qu'il est un peu trop facile de cracher sur un article ou une émission sous le prétexte qu'ils ne donnent pas raison à vos arguments personnels, qu'ils ne soutiennent pas tout à fait vos intérêts privés. Le droit de critique est totalement lié à la liberté d'expression sans laquelle il n'y a plus de libertés individuelles.
Il y a encore quelques dizaines d'années les journaux "papier" avaient beaucoup plus de lecteurs, ils avaient conservé une certaine indépendance au lieu d'être regroupés comme aujourd'hui, ils se faisaient concurrence et ils exprimaient des idées différentes, parfois avec fougue, souvent avec talent, c'était la pluralité des titres, le pluralisme de l'information, c'était davantage de liberté d'expression et les gens qui voulaient être bien informés achetaient plusieurs quotidiens ou hebdos, en confrontaient les idées, s'en faisaient une opinion, mais en général respectaient davantage qu'aujourd'hui les hommes de plume. C'était aussi davantage de terrain et moins de bureau. Du moins me semble-t-il.
C'est, étant fils et petit-fils de journalistes, le souvenir que j'ai gardé de ma carrière, longue de plus de quarante années, ayant débuté pourtant aux abords de mai 68, et après quatre décennies, je puis affirmer que partout j'étais courtoisement reçu, que l'on avait même plaisir à me rencontrer, que ce soit dans les différentes assemblées que je relatais, dans mes contacts avec les institutions,aux audiences du tribunal, dans les milieux culturels, parmi les élus, tous les partis politiques, tous les syndicats, lors des grandes manifestations dans la rue où je me suis souvent retrouvé entre les porteurs de banderoles et les policiers, sans être jamais inquiété, parlant aux uns et aux autres. Dans mes contacts aussi avec les grandes vedettes du show-business qui n'exigeaient pas comme aujourd'hui un rendez-vous préalable et méfiant par l'intermédiaire du chargé de communication, mais à la porte de la loge desquelles je pouvais aller frapper sans vergogne. De même qu'on allait directement serrer la pogne du ministre, casser la croûte avec le député, boire un coup avec l'inspecteur de police ou l'officier de gendarmerie, tutoyer les gars de la CGT sur les quais de Boulogne-sur-Mer et d'ailleurs, entrer dans les vraies maisons pour parler avec les vrais gens, et se faire offrir le café après un enterrement à la campagne.
Je n'en dirai pas davantage. Cette haine du journaliste (non qu'on n'ait pas le droit de le critiquer, c'est autre chose) promet de tristes jours à une démocratie et à une liberté d'expression qui reculent de par le vaste monde, non disons plutôt un monde de plus en plus riquiqui voire étriqué !
Pour l'instant, cette haine, je ne la ressens pas sur mon petit journal. Je suis chanceux. Mais combien de temps les blogs resteront-il un espace de liberté (celle des uns s'arrêtant où commence celle des autres) alors qu'aujourd'hui une des grandes doctrines de l'Internet serait de préférer, à la liberté, la licence...
Je crois utile de rappeler ici les bases de la déontologie, et cette fameuse déclaration des devoirs et des droits des journalistes :
https://www.journalisme.com/images/stories/pdf/charte_munich.pdf
Voici pour conclure un extrait de l'interview de Christophe Deloire sur Europe 1 :
