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Nous sommes le 6 décembre et figurez vous que j'éprouve une certaine nostalgie de la Saint-Nicolas telle qu'on la fêtait et qu'on la fête  à Boulogne sur Mer lors d'un grand défilé qui voyait l'apparition sur les toits du bon barbu protecteur des petits enfants. Une Saint-Nicolas que je vivais professionnellement et familialement et qui m'avait inspiré et amené à rédiger, en 2002 le conte que je vous propose aujourd'hui car je l'ai retrouvé dans mes, il faut l'avouer, colossales archives...

J'espère qu'il vous fera rêver

MERCI A L'AUTEUR DE LA PHOTO

 

 

 

Fête des enfants le 6 décembre

LA BARBE DE SAINT-NICOLAS

 

UN CONTE POUR LES MARGATS* DE LA COTE

D’OPALE

 

 

Ce soir pas comme les autres, Nicolas est en retard et ça l’ennuie.

Ce soir, des milliers d’enfants guettent sa venue, impatients d’être éblouis. Ils sont déjà rassemblés, au bout de l’interminable rue Nationale à Boulogne-sur-Mer, autour du char argenté, étincelant, mais encore vide.

Ce soir, Nicolas court contre la montre. A cause de son prénom bien sûr, il a été chargé de remplacer au pied levé le copain qui devait incarner le bon évêque de Myre. Et forcément, faute d’en avoir l’habitude, il a perdu beaucoup de temps à essayer la robe longue du patron des petits enfants, à ajuster son drôle de chapeau pointu, à adapter à son menton l’épaisse barbe de coton blanc. Puis, comble de malchance, sa voiture a toussé mais s’est obstinée à ne pas démarrer. Alors Nicolas est parti à pied, portant sur le dos un baluchon contenant le costume qui tout à l’heure va le transfigurer. Quand il descendra du ciel pour se matérialiser sur les toits de la cité, dans un halo fantastique, les margats grimpés, pour ne rien perdre du spectacle, sur les épaules de leurs parents, resteront bouche bée. Nicolas se posera tout doucement sur Terre, à l’aide de la nacelle des sapeurs-pompiers, et c’est par poignées qu’il jettera des bonbons multicolores vers la foule juvénile.

Nicolas jette un coup d’oeil à sa montre et presse la pas. Encore quelques minutes et il pourra accomplir sa mission. Après tout, les enfants ont l’habitude d’attendre, en ce soir du 6 décembre, quand tombe un froid presque hivernal que réchauffent déjà les illuminations de Noël. Attendre fait partir du plaisir. C’est pareil quand il s’agit d’un cadeau. Il ne faut pas le déballer tout de suite. Le paquet perd sa magie quand ruban coupé et papier déchiré, il révèle son contenu...

Nicolas court presque. La niche de lumière, au sommet de l’immeuble de béton, est encore vide. Tous les regards convergent vers elle. Les faisceaux tournants des projecteurs cherchent en vain l’apparition. Parfois les gosses poussent une exclamation de bonheur. Quand ils croient apercevoir une silhouette familière. Mais ce ne sont que mirages qui se succèdent.

Nicolas a encore quelques centaines de mètres à franchir. Déjà, il perçoit la rumeur de la foule. Dans la cité résidentielle qu’il traverse, les réverbères ont bien du mal a percer l’obscurité.

Soudain, dans un recoin, des cris aigus attirent son attention. Il s’approche. Et le spectacle qui s’offre à lui le révolte. Trois petits enfants sont malmenés par des adolescents. Le plus âgé, à cyclomoteur, les menace de sa roue avant en faisant vrombir le moteur. Ses deux complices réclament d’une voix mauvaise les pièces de monnaie que les gosses ont peut-être dans leurs poches, mais les mioches résistent. Courageux, ils refusent de livrer leur modeste trésor. Une telle scène de racket le soir de fête des enfants a de quoi révulser!

Nicolas sent monter en lui une juste colère. Il bondit en criant, bouscule le type à scooter, attrape vivement par l’oreille le grand dadais qui lui semblait être le plus virulent du lot. Surpris par l’intervention d’un adulte, les voyous ne demandent pas leur reste et disparaissent dans la pénombre tandis que leur sauveteur sèche les larmes des trois gosses, prend les deux plus jeunes par la main et les entraîne : “Dépêchez-vous. Vous allez manquer l’arrivée de saint Nicolas !”

Quatre à quatre, Nicolas grimpe vers le toit où il va enfin accomplir sa merveilleuse mission. Arrivé à destination, il enfile en vitesse sa robe, se coiffe de la mitre. “Qu’est-ce que tu fichais ? Tout le monde t’attend !” lui lance l’un des organisateurs de la fête traditionnelle. “Maintenant, avance doucement vers la lumière. Fais attention!”

Nicolas progresse prudemment en direction de la corniche. Il perçoit le murmure de la foule. Des centaines de visages scrutent le firmament où se sont allumées des étoiles. “Le voilà !” La clameur monte vers lui. Nicolas est comme sur un nuage. Comme s’il avait fait cela toute sa vie, il bénit, d’un geste auguste, l’immense assemblée. Il lance à la volée des bonbons aux menottes tendues vers lui. Personne n’a remarqué, pour l’instant, que saint Nicolas a oublié de revêtir sa barbe vénérable. Qu’il a l’air un peu jeune pour rendre crédible son personnage de dignitaire ecclésiastique.

Perdus dans la foule, les protégés de Nicolas, la bouche pleine de sucreries, ont déjà oublié leur mésaventure tandis qu’un papa raconte à sa progéniture la belle légende des trois petits enfants qui, s’en allant glaner aux champs (comme dit la chanson populaire), furent mis au saloir par un épouvantable boucher et ressuscités par le bon prélat. Histoire finissant bien, mais horrifique quand même. Comme tous les contes qu’adorent les gosses. Parce que dans leur innocence, ils ignorent que les ogres, sous des formes modernes, existent encore.

Saint-Nicolas, même sans barbe, aura toujours du pain sur la planche !

Dominique Arnaud

 

 

* Margat : gamin dans le parler boulonnais

 

Tag(s) : #Traditions
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