Interdit aux moins de 18 ans ? Avec le Marqués de Sade, sur les étals de Cuernavaca
Alors qu'il n'est pas aisé, à Cuernavaca, de trouver des livres en langue française, vous avouerai-je le plaisir rencontré à découvrir, sur l'étal de quelque bouquiniste, des traductions en espagnol de grands auteurs hexagonaux ?
Ce fut le cas, l'an dernier, avec « Les Fleurs du Mal » de Baudelaire, dont j'ai trouvé intéressante la version mexicaine, je dis bien mexicaine car en terre aztèque, ce sont des éditeurs et traducteurs du cru qui souvent publient différents chefs d'oeuvre dans la langue de Molière.
Il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui, le pays le plus peuplé utilisant la langue de Cervantes ne se trouve pas en Europe, mais ici en Amérique du Nord. Ainsi ai-je trouvé sur le zocalo de Cuernavaca un petit ouvrage signé par le « Marqués de Sade » sous le titre « Julieta » ; neuf, il était emballé de cellophane, son impression datant de 2014 et sa traduction étant signée par Rafael Rutiaga. Très actuel donc.
Ce « Julieta o el vicio ampliamente recompensado », édité par el Grupo Editorial Tomo à Mexico, je n'en disposais justement pas dans mon édition de La Pléiade comprenant « Justine et autres romans » dont les fameuses « 120 journées de Sodome » mais je trouvais aisément sur le net l'intégrale de l' « Histoire de Juliette ou les Prospérités du vice », selon l'édition de 1801. Je tentais alors un rapprochement entre le texte en espagnol et celui d'origine, ce que ne favorisait pas la traduction me paraissant fort libre de l'interprète hispanisant.
Mais après tout, pourquoi vouloir tenter ce rapprochement ? Soit le texte d'origine du sadique marquis suffit à mon divin plaisir, soit je choisis les émotions que peut procurer le texte dans un autre idiome et c'est de cela que je vais vous parler.
...c'est de cela que je vais vous parler.
Mon savoir en espagnol étant loin d'être fameux, et la langue de Sade étant particulièrement riche, je ne pus éviter de buter sur maints paragraphes, dont à chaque fois, le sens général m'apparaissais sans que tous les mots me soient tous compréhensibles. Mais le sens général était déjà délicieux. Ainsi, à défaut de la beauté nue, je profitais de la beauté voilée, et l'on sait bien qu'en matière amoureuse, moins on en montre, et plus la suggestion est forte.
Le plaisir de buter sur les mots peut se montrer particulièrement intense. Ainsi quand il était question « d' enaguas casi transparentes » j'avais besoin du dictionnaire pour savoir qu'il s'agissait de jupons, mais pas pour imaginer les formes voilées, le dictionnaire ralentissant délicieusement l'effeuillage aboutissant quand même à la révélation des « globos de sus pechos » ne me nécessitant pas de lexique, l'imagination suffisant.
Savoureux ralentissement de la lecture auquel s'ajoutais le caractère imagé et chantant de la langue espagnole. « La bella abadesa que desabrochaba agilmente mi vestido » me parurent plus évocateur que « la belle abesse qui déboutonna ma robe » et la phrase « Eufrosina y yo nos abrazabamos et nos besabamos » enrichissait le texte originel de sonorités exquises tout comme le caractère « oscilante de sus pechos »...
Je n'en dirai pas davantage sinon en publiant un court fac-similé de l'ouvrage dont la couverture me paraît assez pudique si on la compare aux gravures accompagnant les premières éditions de l'oeuvre de Sade (ainsi qu'on en jugera par mon choix iconographique). Par cette chronique, j'espère avoir excité (au moins) votre curiosité, avant de poursuivre mon exploration des bouquinistes mexicains laquelle promet certainement d'autres découvertes, peut-être moins suggestives, en l'approche d'une culture qui nous est finalement si voisine.
C'est du moins un moyen, merci Monsieur le Marquis, d'enrichir son vocabulaire espagnol sans avoir envie de bâiller. Bien qu'avec lui toutes les portes du plaisir soient plus qu'entrebâillées...
J'espère n'avoir pas choqué les âmes sensibles, mais n'avais-je pas écrit en préambule que cet article était réservé à un public averti. Ou inverti... Et puis, zut, le marquis fait partie depuis longtemps des grands classiques !