Bonheur d'avoir la primeur d'un beau texte ! Après l'avoir téléchargé ce matin, je l'ai imprimé pour pouvoir le lire et l'annoter confortablement dans le train. TGV dont le roulement a accompagné le rythme et les mots du recueil d’Ève de Laudec intitulé « Les petites pièces rapportées ».
Certes cette œuvre poétique est signée d'une auteure pas toujours très abordable, qui ne se révèle qu'à petites touches, et dont l'expression peut parfois paraître obscure à première lecture. Mais cet aspect mystérieux lui donne du charme et le texte finit par s'éclairer à la lueur d'un flambeau intérieur faisant luire, ici et là, d'admirables pépites se détachant d'une gangue néanmoins précieuse.
Une langue riche
Les poèmes sont écrits dans une langue riche, inventive, déconcertante, mais savoureuse, une langue qui « virginise » l'expression lyrique. Et si la nostalgie, souvent présente, peut être empreinte de douceur, elle est aussi susceptible d'atteindre une douleur exprimée dans toute son âcreté. Souffrance traduite par une succession de mots qui déferlent comme des vagues marines ballottant les coquilles de noix d'une foison d'images, lesquelles sont servies par un style très direct, parfois proche de l'énumération hachée, mais souvent conjugué dans un rapport verbe-sujet contrasté tel que « l'emplume s'éparpille ébouriffe la luette ».
Mots rares
D ’Ève de Laudec je relève aussi le goût du mot rare, invitation à « dictionnariser » la lecture comme aurait pu dire l'auteure. C'est utile, par exemple quand on butte sur un mot tel qu'isohypse qui comme chacun ne le sait pas est une courbe de niveau. Or avec Ève, on change souvent d'altitude, cela fait partie du jeu qu'elle orchestre autour d'expressions dont elle amuse le lecteur qui se régale à les « ramasser à l'appel ».
Sa manière d'écrire tourmentée fait ainsi mieux ressortir les chagrins anciens dont la mise en scène les ancre et les encre sur les planches dramatiques qui contiennent le temps. Tout cela, sans doute, pour démythifier et permettre de mieux comprendre l'histoire servant de trame, fédérant ces petites pièces rapportées qui associées conservent néanmoins leur aimable indépendance.
Le vers libre se libère
Voilà qui est bien séduisant, d'autant plus qu'Eve de Laudec sait parfaitement, au fil des pages, éviter toute monotonie. Ainsi, au fond du « Ravin muselière », le vers libre se... libère en devenant régulier. Ainsi la souffrance d'un cœur labouré se console lors de moments d'apaisement, tel celui apporté par ce quatrain : « Pour adoucir ton pas/ J'ai jeté par poignées/ Sur un tourment terreux/ Les pétales du temps ».
Parmi les moments forts du recueil, patchwork finalement fort bien coordonné, j'ai noté quelques joyaux comme ce superbe « Fais l'amour à mes peurs » ou encore cette évocation suggestive : « Mon sud est à ton nord ».
Déjà, quelques vers représentent des morceaux d'anthologie comme « Elle dit les arbres souffrent la nuit/ Tant peur que le matin déserte »
Trouvailles
Les mots ne remplissent pas toutes les pages, les laissant respirer, car ici est cultivé l'art de dire beaucoup en peu de lettres mais avec infiniment de... caractère ; on ne risquera donc pas l'indigestion, au contraire, on prendra le temps de savourer et si l'on dévore quand même les pages à toute vitesse, ce sera pour mieux y revenir, pour se régaler à nouveau des trouvailles subtiles comme « La geôle béton se raye poudreuse d'escampette entre les barreaux » ou encore « Au choc du petit matin/ La grive/ A rendu l'âme à la vitre/ Qui lui avait prêté/ Son image ».
Je terminerai par une dernière citation « Tu n'as qu'à prendre tes cliques et ma claque » avant d'inviter mon lecteur à cueillir ce bouquet. Où ? Eh bien tout simplement en suivant ce lien conduisant à un site qui mérite d'être exploré :
http://evedelaudec.fr/ecriture/parutions